La métamorphose ratée des instituts hôteliers et touristiques : entre gaspillage de potentiel et quête de redynamisation

Hicham TOUATI
Dans une décision qui a suscité de vives controverses, 486 employés du secteur du tourisme ont été intégrés au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement primaire et des Sports, sans égard pour leurs aspirations ou leurs spécialités professionnelles. Ce transfert s’inscrit dans le cadre d’une opération visant à transférer des établissements de formation hôtelière et touristique, autrefois sous la tutelle du ministère du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Économie sociale, au ministère de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Ce changement, officialisé par le décret n° 451-21-2 du 21 juin 2021, devait marquer le début d’une nouvelle ère pour ces institutions, avec la création d’instituts d’excellence préparant du niveau qualification au Brevet de Technicien Supérieur (BTS) dans des filières variées telles que la cuisine, la pâtisserie, le service, l’accueil, l’animation touristique, ainsi que le marketing et la commercialisation, dès la rentrée 2022-2023. Cependant, loin de répondre aux attentes, cette transition a révélé une série de dysfonctionnements et de lacunes.
Ces établissements, à l’image de l’Institut spécialisé dans l’hôtellerie de Salé et du centre d’Erfoud, jouaient autrefois un rôle essentiel dans la qualification des jeunes Marocains, en particulier ceux touchés par le décrochage scolaire. Ils délivraient des diplômes reconnus sur le marché du travail, offrant ainsi des débouchés professionnels à une génération en quête d’opportunités. La qualité de la formation dispensée dans ces instituts était indéniable : basée sur une approche par compétences, les programmes alignés sur les standards internationaux, notamment ceux de l’Institut de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec (ITHQ) de Montréal et de l'École hôtelière et d'Administration de Laval, en faisaient des références dans le domaine. Les formateurs, exigeants en matière de tenue, d’hygiène et de savoir-être, ainsi que le personnel d’encadrement, contribuaient à forger des profils professionnels hautement qualifiés. Les infrastructures, dotées d’équipements modernes et adaptés, offraient un environnement propice à l’apprentissage.
Aujourd’hui, ces centres sont à l’arrêt, faute d’un plan opérationnel du ministère de l’Éducation nationale pour soutenir la formation hôtelière et touristique. L’Institut spécialisé dans l’hôtellerie de Marrakech, rénové avant son transfert pour un coût dépassant les 10 millions de dirhams, est réduit à un simple dépôt pour motocyclettes sur l’avenue Mohammed VI. Quant à l’institut d’Agadir, qui formait jusqu’aux formateurs grâce à sa section pédagogique, il est désormais fermé, tandis que celui de Fès, spécialisé dans la gastronomie marocaine, est temporairement occupé par une institution sécuritaire. Ces transformations témoignent d’un mépris flagrant pour le rôle de ces structures dans la formation des cadres dont le Maroc a besoin, particulièrement dans des villes touristiques majeures comme Marrakech, Agadir et Fès.
Quant aux fonctionnaires et formateurs transférés au ministère de l’Éducation nationale, ils se retrouvent dans une situation de « fonctionnaires fantômes », sans missions précises ni respect de leurs spécialités. Nombre d’entre eux, notamment les formateurs en cuisine, pâtisserie et les administrateurs, ont été affectés à des postes sans aucun rapport avec leurs compétences, malgré leur nomination officielle par les académies régionales ou les délégations provinciales de l’éducation. Cette négligence témoigne d’un manque total de planification stratégique de la part du ministère de l’Éducation nationale, qui n’a pas encore élaboré de plan concret pour intégrer ces ressources humaines ou préserver le rôle de ces institutions en tant que services publics de formation.
Parallèlement, le ministère du Tourisme envisage de céder certains de ces établissements au secteur privé, comme ceux de Marrakech, Agadir et Fès, transformant ainsi des infrastructures publiques dédiées à la formation en biens immobiliers à vocation commerciale. Cette démarche priverait les jeunes Marocains d’opportunités de formation dans un secteur clé de l’économie nationale, en l’absence d’alternatives publiques adéquates.
Pourtant, face à ce constat alarmant, une lueur d’espoir semble émerger. Confronté à la faible attractivité des formations proposées et animé par une volonté d’optimiser l’exploitation de ces établissements, le Secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, M. Younes SHIMI, a engagé une démarche proactive. Il a ainsi invité les directeurs des académies régionales de Casablanca-Settat, Fès-Meknès, Drâa-Tafilalet, Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, Rabat-Salé-Kénitra, ainsi que l’AREF de l’Oriental, à élaborer des propositions visant à redynamiser ces instituts et à réaffecter leurs infrastructures au profit de l’éducation, de la formation professionnelle, notamment dans les domaines de l’hôtellerie et du tourisme, ainsi que du sport. Cette initiative, bien que tardive, pourrait marquer le début d’une renaissance pour ces établissements, les transformant en véritables piliers de l’excellence éducative, du Bac professionnel au BTS, et ouvrant ainsi la voie à une réhabilitation stratégique de ces infrastructures.
La situation actuelle de ces instituts révèle une absence criante de vision stratégique de la part des autorités compétentes. Au lieu de préserver ces structures en tant que pôles de formation hôtelière et touristique, elles ont été laissées à l’abandon ou reconverties en espaces sans vocation éducative, sans considération pour leur rôle dans l’insertion professionnelle des jeunes. De plus, la marginalisation des compétences des employés transférés constitue un gaspillage de ressources humaines qualifiées, qui auraient pu contribuer au développement du secteur de la formation hôtelière et touristique au Maroc et assurer ainsi la formation des futurs formateurs.
Face à cette dérive, une question fondamentale se pose : quelle est la vision future pour la formation hôtelière et touristique au Maroc ? Les départements concernés parviendront-ils à redynamiser ces institutions en tant que services publics de formation, ou leur destin sera-t-il scellé par leur cession au secteur privé, au détriment des aspirations de la jeunesse marocaine ? Il est crucial que le ministère de l’Éducation nationale et celui du Tourisme révisent en profondeur leurs politiques de formation, en définissant une stratégie cohérente et ambitieuse pour préserver ces établissements en tant que piliers essentiels de la formation publique dans les domaines de l’hôtellerie et du tourisme. Le respect des compétences des employés transférés, la continuité du service public et la réhabilitation de ces infrastructures constituent des impératifs pour assurer leur pérennité. Ces mesures sont indispensables pour permettre à ces institutions de contribuer pleinement à la formation des cadres qualifiés dont le Maroc a besoin, dans un secteur aussi stratégique que le tourisme, l’un des piliers majeurs de l’économie nationale.
Cette démarche, si elle est menée avec rigueur et vision, pourrait non seulement redonner vie à ces instituts, mais aussi offrir de nouvelles perspectives à une génération de jeunes en quête de formation de qualité. En somme, il s’agit de transformer un échec apparent en une opportunité de renouveau, en plaçant l’humain et l’éducation au cœur des priorités nationales.