« Jusqu’au dernier souffle : une célébration de l’altérité et de la beauté intérieure, à Fès

« Jusqu’au dernier souffle : une célébration de l’altérité et de la beauté intérieure, à Fès

Hicham TOUATI 

Dans le cadre somptueux du Riad El Amine, une rencontre littéraire de haut niveau a rassemblé, samedi 10 octobre 2025, universitaires, écrivains, lecteurs et figures de la société civile autour du nouveau roman d’Habiba TOUZANI IDRISSI . Une œuvre poignante sur l’autisme et la différence, saluée comme une ode à l’humain.

Il est des soirées où la littérature semble retrouver tout son souffle, son sens, sa mission. Celle qui s’est tenue au Riad El Amine, à Fès, ce samedi 10 octobre 2025, fut de cette trempe rare. Dans ce joyau d’architecture arabo-andalouse, généreusement mis à disposition par M. Yassir JAOUHAR, un public éclectique: universitaires, écrivains, médecins, parents, défenseurs des droits humains, et de nombreux jeunes lecteurs, s’est réuni pour célébrer « Jusqu’au dernier souffle », le dernier roman de Habiba TOUZANI IDRISSI , professeure de littérature et voix montante des lettres francophones marocaines.

La discussion, riche, vivante, d’une densité peu commune, fut orchestrée avec talent par le professeur Chakib TAZI, maître de conférence à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. Il ouvrit la rencontre par des mots qui installaient d’emblée la hauteur du propos :

« Nous nous sommes réunis pour découvrir l’univers saisissant et bouleversant du dernier roman d’Habiba TOUZANI IDRISSI. Une voix féminine, une voix littéraire, qui s’est imposée dans le paysage culturel marocain et francophone. Son écriture, à la fois douce, sensible et lucide, explore avec une extrême sensibilité les thèmes de la différence, de l’altérité et de l’humain dans toute sa complexité. »
Et de souligner le cœur du roman :
« Dans Jusqu’au dernier souffle, elle prête sa plume à ceux que la société peine à comprendre : les enfants autistes. »

Le roman suit Yahya, jeune adolescent autiste, séquestré dans un hangar sordide, dont l’esprit navigue dans 32 bulles de conscience : autant de capsules sensorielles, poétiques, douloureuses, où l’enfant revisite sa naissance difficile, la lumière inconditionnelle du regard maternel, la fuite d’un père incapable d’aimer la différence, et les violences d’une société qui exclut ce qu’elle ne comprend pas. Mais il y a aussi, comme des éclats de grâce, la tendresse d’amies fidèles, la beauté fragile des bulles de savon soufflées par Hayat, l’icône poétique du récit, et l’idée obstinée qu’une dignité est possible, malgré tout.

Soumiya HARMASSI, professeure de l’enseignement supérieur à Rabat, salua avec une émotion palpable la portée humaniste du roman :

« Merci de te battre, Habiba, pour contribuer à donner à l’écriture littéraire le pouvoir de régénérer l’oxygène des humanismes renaissants. Tu nous rappelles que la littérature, l’art, la culture doivent assumer et assurer la mission qui leur incombe : augmenter l’humain en chacun de nous. »

Et c’est bien de cela qu’il s’agissait ce soir-là : d’augmenter l’humain, en écoutant, en lisant, en se laissant toucher par une langue qui refuse le cynisme, par un regard qui embrasse la vulnérabilité. Plus d’une dizaine d’intervenants: enseignants, parents d’enfants neurodivergents, défenseurs des droits humains, journalistes, étudiants, ont pris la parole, pour dire combien ce texte les avait bouleversés, dérangés, transformés.

L’écrivaine et journaliste Lamia BERRADA BERCA, marraine historique du Goncourt Choix du Maroc, livra quant à elle une lecture profonde du roman :

« Autour de la figure de Yahya, cet enfant, cet adolescent, il y a la question de l’enfance au sens universel. Jusqu’au dernier souffle m’a émue parce qu’il parle de quelque chose de très particulier, de très personnel, d’intime, mais avec une porte, un élargissement à l’universel. »
Elle insista sur le traitement de la thématique centrale :
« Parvenir, comme l’a fait Habiba, à saisir le caractère très spécifique de l’autisme pour aborder la manière dont la société a stigmatisé la différence est un point qui m’a profondément touchée. »

Et de conclure, dans un moment d’admiration sincère :
« L’écriture de Habiba est immersive. Elle nous plonge dans l’univers des perceptions. Yahya est un personnage qui exprime l’intensité de la vie et le bonheur d’exister. Comment parler de l’autisme en est la vraie question de l’écrivaine. Et elle y répond avec poésie, justesse, et une redoutable précision. »

La romancière, visiblement émue par la réception de son œuvre, évoqua sa démarche comme une forme de responsabilité : écrire non pas sur, mais depuis l’intérieur de la différence. Elle souligna combien l’acte d’écrire Jusqu’au dernier souffle avait été pour elle « une tentative de rendre audible une voix étouffée par le vacarme du monde ».

Au fil des échanges, le roman apparaissait comme bien plus qu’un texte littéraire : un geste politique, éthique, poétique. Un miroir tendu à nos réflexes d’exclusion. Une ode aux mères combattantes. Un chant d’amour pour les êtres singuliers.

Et c’est tout naturellement que la soirée s’est close dans un silence recueilli, ponctué par des applaudissements nourris. Non pas un enthousiasme bruyant, mais la reconnaissance muette que certains livres nous remuent profondément.

Jusqu’au dernier souffle d’Habiba TOUZANI IDRISSI est de ceux-là : un roman nécessaire, lumineux, inconfortable parfois, mais profondément humain. Il nous invite à voir autrement, à ressentir différemment, à penser avec le cœur.

Et ce soir-là, à Fès, à Riad El Amine, la littérature, une fois encore, avait fait son travail. Elle avait ouvert une brèche dans le réel.