Didactique de l'écrit : Enjeux et perspectives en contexte scolaire marocain

Didactique de l'écrit : Enjeux et perspectives en contexte scolaire marocain

Adil LOUCHKLI

 Introduction
 
L'écriture, depuis son invention, constitue une pratique fondamentale qui a marqué la transition de la préhistoire à l'histoire. Grâce à cette capacité, l'humanité a non seulement pu consigner ses pensées et ses expériences, mais aussi développer des civilisations entières. En contexte scolaire, l'importance de l'écriture est indéniable, que ce soit dans la vie privée, professionnelle ou publique. Cependant, « la machine scripturale » en milieu scolaire marocain est en crise, comme en témoignent les constats alarmants du Programme National d'Évaluation des Acquis (PNEA), mettant en lumière la baisse significative du niveau des élèves en production écrite. Face à des copies souvent illisibles ou vierges, l'acte d'écrire en classe est devenu anxiogène pour les apprenants et les enseignants.
 
Problématiques et enjeux didactiques. Modélisation de la compétence scripturale
 
La recherche en didactique s'efforce de formaliser la compétence scripturale en explorant les modalités d'appropriation des pratiques scripturales tant en contexte scolaire qu'extra-scolaire. La modélisation de cette compétence implique la prise en compte des savoirs notionnels et conceptuels, des savoir-faire et des représentations qui forment le socle de la compétence à écrire. Michel Dabène définit la compétence scripturale comme un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de représentations concernant l'ordre scriptural, permettant l'exercice d'une activité (extra)ordinaire. Selon lui, chaque composante constitue un objectif d'enseignement-apprentissage qu'il convient de maîtriser pour asseoir cette compétence.
 
Jean-François Halté, quant à lui, considère le savoir-écrire comme un méta-savoir-faire cognitif, organisant des savoir-faire disponibles et complexes sous l'orientation d'un projet scriptural. Il souligne la nécessité d'une approche problématisée de l'écriture, où l'apprenant est confronté à des situations d'écrit ayant une facture problématique, nécessitant la mobilisation de stratégies de contournement.
Yves Reuter propose une approche syncrétique, définissant l'écriture comme une pratique sociale historiquement construite, impliquant la mise en œuvre conflictuelle de savoirs, de représentations, de valeurs et d'opérations. Sa modélisation distingue trois composantes principales : les savoirs, les représentations et les opérations, chacune jouant un rôle crucial dans la performance scripturale.
 
Enjeux méthodologiques et pédagogiques
 
L'enseignement de la production écrite pose de nombreux défis méthodologiques. La diversité des approches pédagogiques historiques, telles que l'approche grammaire-traduction, l'approche audio-orale, l'approche structuro-globale audio-visuelle et l'approche communicative, a chacune apporté des perspectives distinctes mais limitées sur la didactique de l'écrit. La nécessité d'une méthodologie claire et spécifique à l'enseignement-apprentissage de l'activité de production écrite se fait ressentir, tant pour évaluer les productions écrites que pour traiter les erreurs de manière constructive.
 
Contextualisation et adaptation locale
 
La noosphère marocaine doit procéder à une contextualisation des modèles rédactionnels pour les adapter à la conjoncture locale. Le cadre référentiel doit jouer sa fonction d'harmonisation et de régulation de la compétence rédactionnelle, en tenant compte des spécificités culturelles et linguistiques du contexte marocain. La prise en compte des représentations des enseignants et des élèves est cruciale pour comprendre les blocages éventuels et élaborer des situations d'écrit pertinentes et motivantes.
 
Causes des difficultés des élèves à l’écrit
 
Les difficultés rencontrées par les élèves en production écrite peuvent être attribuées à plusieurs facteurs :
 
1. Décalage entre l’attendu institutionnel et le niveau effectif des élèves: Le fossé entre les exigences académiques et les compétences réelles des élèves crée une pression excessive, souvent contre-productive.
2.Inefficacité des approches didactiques: Malgré les avancées théoriques, les pratiques enseignantes et le rapport des élèves à l'écrit n'ont guère évolué, rendant les interventions didactiques peu efficaces.
3. Artificialité des situations scolaires: Les exercices de production écrite sont souvent déconnectés des réalités pratiques, manquant de destinataire et de contexte authentique, ce qui réduit leur pertinence et leur impact.
4.Système représentationnel des enseignants et des élèves: Les enseignants tendent à privilégier des normes culturelles plutôt que textuelles, influençant ainsi les attentes et les perceptions des élèves quant à ce qui constitue un « bon texte ».
5.Relation lecture-écriture: Souvent traitée de manière évidente et mécanique, cette relation n'est pas suffisamment didactisée, rendant l'investissement en lecture peu efficace pour améliorer les compétences en écriture.
 
 Perspectives didactiques et pratiques pédagogiques. 
Approches innovantes et différenciation pédagogique:
 
Une didactique de l’écrit efficace doit intégrer des variables telles que le modèle de l’écriture, la scénarisation pédagogique et l’intelligence du contexte. Il est essentiel de diversifier les écrits demandés aux élèves, les modalités textuelles, les exercices proposés, les types d’aide et les modalités d’écriture (individuelle, collective, en binôme). La différenciation pédagogique, les projets longs d’écriture et les activités de réécriture doivent être favorisés pour motiver et impliquer les élève.
 
Évaluation formative et remédiation
 
L'évaluation de la production écrite doit aller au-delà de la simple correction normative. Une évaluation formative, portant sur la globalité du texte, son adéquation communicationnelle et ses effets, est nécessaire. Les critères d’évaluation doivent être explicités pour guider les apprenants et leur permettre de jeter un regard réflexif sur leurs productions. La remédiation doit être ciblée, valorisante et évoluer vers l’auto-évaluation et la co-évaluation.
 
Conclusion
 
La pratique de l'enseignement du savoir-écrire doit s'appuyer sur des sources hétérogènes, incluant les apports de la linguistique, de la textologie et des théories psycholinguistiques. Un modèle de compétence scripturale plausible théoriquement et flexible est nécessaire pour intégrer les différents courants de recherche. L'enseignant, en tant que médiateur des apprentissages, doit comprendre les modèles de la tâche et du fonctionnement cognitif des apprenants pour répondre efficacement à leurs difficultés. L'activité rédactionnelle doit être motivée, analysée, explicitée et différenciée pour créer une dynamique d'apprentissage fédératrice.
 
 Références
 
- Bollême, G. (1993). Parler d’écrire. Paris : Seuil.
- Dabène, M. (1991). La Compétence scripturale. Paris : Hachette.
- Halté, J.-F. (1992). Le Savoir-écrire. Paris : Presses Universitaires de France.
- Reuter, Y. (2007). L’Écriture et ses modèles. Paris : Nathan.

Biographie de l'auteur

Adil LOUCHKLI, Docteur en littérature française, francophone et comparée.-Inspecteur pédagogique de français au lycée.-Personne ressource auprès de l'UNICEF dans le domaine des CVC.-Expert international en conception des dispositifs de formation, des référentiels de mise à niveau linguistique et en ingénierie pédagogique.
Auteur de plusieurs articles et de plusieurs ouvrages publiés au Maroc et à l’étranger.
 

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