Police et gendarmerie au Maroc : l’usage des armes, entre cadre légal et urgences du terrain

Police et gendarmerie au Maroc : l’usage des armes, entre cadre légal et urgences du terrain

Hicham TOUATI

Dans un contexte mondial marqué par la montée des violences, les forces de l’ordre, qu’il s’agisse de la Gendarmerie Royale ou de la Police nationale au Maroc, sont de plus en plus confrontées à des situations où leur intégrité physique est menacée. Récemment, plusieurs faits divers rapportés tant par la presse nationale que par les médias internationaux ont mis en évidence la complexité de leur mission. Entre la nécessité de protéger les citoyens, le respect des droits humains et l’obligation de réagir face à un danger réel et imminent, ces agents doivent sans cesse jongler entre efficacité et prudence. Cela relance inévitablement le débat sur l’usage des armes à feu et des dispositifs de neutralisation comme les gaz lacrymogènes ou les matraques électriques.

Au Maroc, le recours à la force est régi par un cadre juridique précis. Le Code pénal, le Code de procédure pénale ainsi que divers règlements internes de la Gendarmerie Royale et de la Direction Générale de la Sûreté Nationale encadrent strictement cette pratique. En principe, le recours à une arme ne peut se justifier que par une nécessité absolue et uniquement lorsqu’une menace grave et immédiate pèse sur la vie de l’agent, celle d’autrui ou la sécurité publique. En d’autres termes, la proportionnalité de la riposte reste la règle fondamentale. Par conséquent, les forces de l’ordre sont tenues d’épuiser toutes les options non létales avant d’envisager l’usage d’une arme à feu. Dans ce sens, le gaz lacrymogène, la matraque ou encore le pistolet électrique sont privilégiés pour contenir des résistances non armées ou disperser des attroupements. Cependant, il faut reconnaître que la réalité du terrain complexifie l’application de ces principes, notamment dans certaines zones rurales ou périphériques où les interventions dégénèrent rapidement.

Cette problématique n’est pas propre au Maroc. En effet, le droit international insiste lui aussi sur le caractère proportionné et exceptionnel de l’usage de la force létale. Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et aux armes à feu par les responsables de l’application des lois, adoptés en 1990, invitent les États à limiter l’usage des armes à feu aux situations les plus extrêmes, et à privilégier dans tous les cas les moyens non létaux. À titre de comparaison, en France, les policiers ne peuvent faire usage de leur arme que dans des cas précis de légitime défense ou de menace directe. Depuis 2017, une réforme législative a cependant élargi ce droit pour les policiers nationaux, afin de l’harmoniser avec celui des gendarmes. Aux États-Unis, le cadre légal repose sur des principes comparables, mais leur interprétation varie d’un État à l’autre, ce qui a parfois mené à des dérives tragiques, notamment en raison de la perception subjective du danger par les agents.

Ainsi, les forces de l’ordre évoluent dans un paradoxe constant. D’un côté, la société attend d’elles une capacité d’intervention rapide et décisive face aux menaces. De l’autre, elles doivent opérer sous une contrainte juridique et morale rigoureuse, sous peine de sanctions administratives ou judiciaires. Cette tension est d’autant plus forte que les formes de violence auxquelles elles font face sont devenues plus agressives et imprévisibles. Plusieurs syndicats de police en Europe réclament d’ailleurs une réforme du cadre légal afin d’assurer une meilleure protection juridique aux agents. Au Maroc également, les représentants des forces de sécurité expriment le besoin d’un encadrement plus adapté à la réalité du terrain, tout en respectant les principes fondamentaux des droits de l’Homme.

En définitive, l’usage de la force par les forces de sécurité reste une question délicate, à la croisée du droit, de l’éthique et de l’opérationnel. Si le Maroc dispose d’un arsenal juridique aligné sur les standards internationaux, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre reste confrontée à de nombreux défis. Par conséquent, il devient indispensable de renforcer la formation des agents, de moderniser leur équipement avec davantage d’outils non létaux et, surtout, de favoriser un dialogue constant entre les institutions, les professionnels de la sécurité et la société civile. Seule cette approche équilibrée permettra de garantir à la fois la sécurité publique et le respect de l’État de droit.