Le fossé salarial dans la fonction publique marocaine : Une équité encore à construire

Hicham TOUATI
La question de la masse salariale au Maroc demeure l’un des enjeux les plus importants en matière de gestion publique, oscillant entre les impératifs économiques du pays et les attentes légitimes des fonctionnaires. Les disparités salariales entre les divers ministères et secteurs, souvent amplifiées par des négociations sectorielles inégales, créent un climat de mécontentement et de frustration parmi une grande partie des employés du secteur public. Le défi majeur réside dans la quête d’une justice salariale réelle, à la fois équitable et durable, qui puisse réduire les inégalités et renforcer la cohésion sociale.
La répartition des salaires dans le secteur public marocain est marquée par une grande disparité, qui se traduit par une rémunération plus élevée pour certains ministères jugés stratégiques, comme ceux des Finances, de l’Intérieur ou des Affaires étrangères, tandis que d’autres secteurs essentiels, tels que la Santé ou l’Éducation, peinent à voir leurs conditions salariales s’améliorer de manière significative. Cette inégalité de traitement n’est pas seulement le fruit des priorités gouvernementales en matière de sécurité ou d’économie, mais également le résultat de négociations salariales qui, bien souvent, ne prennent pas en compte la réalité des besoins de chaque secteur. En conséquence, les fonctionnaires des ministères dits « sociaux » sont fréquemment confrontés à des salaires bien en deçà de la moyenne, malgré l’importance de leurs missions au quotidien.
Les négociations salariales, bien que récurrentes, ont souvent tendance à favoriser certains secteurs, laissant de côté des professions tout aussi vitales. Ainsi, malgré les améliorations apportées par les accords de 2019 et 2020, qui ont permis une augmentation progressive des salaires, les fonctionnaires de certains ministères, comme ceux de l’Éducation ou de la Santé, estiment que ces revalorisations sont insuffisantes au regard de la lourdeur de leurs tâches et de l’impact direct de leur travail sur le bien-être de la population. Ces augmentations, bien que salutaires, n’ont pas permis de combler les écarts salariaux qui persistent entre les différentes catégories de fonctionnaires.
L’année 2023, toutefois, a marqué un tournant important dans ce débat, avec la mise en place d’une nouvelle série d’augmentations salariales décidées dans le cadre d’un accord global entre le gouvernement et les syndicats. Ces augmentations ont concerné plusieurs secteurs, avec un accent particulier sur les fonctionnaires des ministères les plus sous-payés. Si ces hausses ont été perçues comme un signe positif de la part de l’État, elles ont aussi révélé les limites des réformes salariales en cours. Les augmentations de 2023, bien que significatives pour certaines catégories, ne suffisent toujours pas à combler les inégalités structurelles entre les ministères. De plus, le manque de transparence dans la répartition de ces augmentations a continué d’alimenter des frustrations chez ceux qui estiment avoir été laissés pour compte.
L’écart entre les différents ministères reste donc frappant. Alors que des ministères stratégiques bénéficient de marges de manœuvre financières qui leur permettent d’offrir des rémunérations plus attractives, d’autres ministères se trouvent pris dans une dynamique de gel des salaires ou de réajustements minimaux. Par exemple, le ministère de la Santé, malgré l’importance de son rôle dans la gestion de la crise sanitaire, n’a pas bénéficié des mêmes revalorisations que ceux de la défense ou des affaires étrangères. De même, les enseignants et les éducateurs, qui jouent un rôle essentiel dans le développement du capital humain, se retrouvent souvent avec des salaires peu en adéquation avec l’importance de leurs responsabilités. Ce fossé entre les secteurs « stratégiques » et « sociaux » contribue à maintenir une fracture sociale au sein du secteur public, avec des fonctionnaires qui se sentent, à juste titre, sous-estimés et négligés.
Le système de gestion de la masse salariale reste également influencé par les contraintes budgétaires que le Maroc doit gérer. La pression sur les finances publiques, exacerbée par la crise sanitaire et les répercussions économiques mondiales, impose au gouvernement de faire des choix difficiles, notamment en matière de répartition des ressources. Si l’augmentation des salaires dans certains secteurs a été saluée comme un signe de progrès, il reste clair que ces ajustements ne répondent pas aux besoins de l’ensemble des fonctionnaires, d’autant plus qu’ils sont souvent perçus comme temporaires et non systématiques.
En comparaison avec d’autres pays de la région, le Maroc reste en retrait en matière de réforme salariale du secteur public. En Tunisie, par exemple, des efforts ont été faits pour instaurer une grille salariale plus équitable, prenant en compte l’ancienneté et les spécificités des métiers. Bien que ces réformes soient lentes, elles ont permis de réduire les tensions sociales et de mieux répartir les augmentations salariales. Le Maroc pourrait tirer parti de telles expériences pour mener une réforme plus ambitieuse, qui serait non seulement plus transparente, mais aussi plus en phase avec les réalités de chaque secteur.
En définitive, bien que des progrès aient été réalisés avec les augmentations décidées en 2019, 2020 et 2023, la question de la justice salariale au Maroc reste loin d’être résolue. Il est impératif que le gouvernement marocain adopte une approche plus systématique et équitable dans la gestion de la masse salariale, afin de garantir que chaque fonctionnaire, quel que soit son secteur, bénéficie d’une rémunération juste et digne de son travail. Cela passe par une réforme en profondeur du système de rémunération, avec une attention particulière portée aux secteurs sociaux et essentiels, afin de parvenir à un équilibre entre équité, transparence et viabilité économique.
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